René-Xavier Prinet (31 décembre 1861, Vitry-le-François – 26 janvier 1946, Bourbonne-les-Bains) est un peintre et illustrateur français, dont l’œuvre incarne l’élégance et la complexité de la Belle Époque, période de prospérité et de bouleversements artistiques. Né dans une famille de notables francs-comtois, fils d’Henri Prinet, procureur impérial sous le Second Empire, et frère de Gaston Prinet, diplomate, il grandit dans un appartement cossu de la rue Bonaparte à Paris, à l’ombre de l’École des Beaux-Arts. Son père, peintre amateur, remarque tôt son talent pour le dessin et l’oriente vers une carrière artistique, le confiant à Louis Charles Timbal, un peintre spécialisé dans les décors religieux pour les églises parisiennes. Par sa grand-mère maternelle, Prinet est apparenté aux peintres de cour Hubert Drouais (1699-1767) et François-Hubert Drouais (1727-1775), dont les portraits aristocratiques influencent son goût pour la précision et l’élégance formelle. Ce lien familial, bien que distant, l’inscrit dans une tradition picturale française qu’il honorera tout au long de sa vie.
À la mort de Timbal en 1880, Prinet, âgé de 19 ans, intègre l’atelier de Jean-Léon Gérôme à l’École des Beaux-Arts, où il subit une discipline rigoureuse. Gérôme, maître de l’académisme, enseigne une approche méthodique du dessin et une fidélité aux détails historiques, mais encourage aussi une observation attentive de la lumière et des textures. Parallèlement, Prinet fréquente l’Académie Julian, un lieu plus libre où il étudie sous Jules Lefebvre et Gustave Boulanger. Là, il se lie d’amitié avec des artistes comme Antonio de La Gandara, Félix Desgranges, Jules-Alexis Muenier et Lucien Simon, qui partagent son intérêt pour le réalisme. Ces années sont marquées par des débats intenses sur l’impressionnisme, dont les touches rapides et les couleurs vives divisent la scène artistique parisienne. Prinet, bien que sensible à la luminosité impressionniste, reste fidèle à une approche réaliste, influencée par Gustave Courbet et les maîtres hollandais du XVIIe siècle, dont il admire la sobriété et la profondeur psychologique.
En 1885, à 24 ans, Prinet fait ses débuts au Salon des Artistes Français avec Jésus enfant, une toile religieuse qui, bien que modeste, attire l’attention par sa composition soignée et son rendu délicat des étoffes. Ce succès lui ouvre les portes du Salon, où il expose régulièrement jusqu’en 1889. Dès 1890, il rejoint la Société Nationale des Beaux-Arts, un espace plus progressiste, et y présente ses œuvres jusqu’en 1922. En 1890, il remporte une médaille d’or pour une scène de genre, et en 1900, il reçoit une mention honorable à l’Exposition Universelle de Paris, consacrant sa réputation. En 1891, l’État lui commande Les Quatre Saisons, une série de panneaux décoratifs pour le Palais de la Légion d’Honneur. Ces fresques, encore visibles à Paris, témoignent de son talent pour les compositions allégoriques, avec des figures fluides et une palette harmonieuse, inspirée des décors de Puvis de Chavannes. Cette commande marque un tournant, le propulsant parmi les peintres décorateurs prisés de l’élite républicaine.
Prinet s’associe à la Bande Noire, un groupe informel formé dans les années 1890 avec Lucien Simon, Charles Cottet, André Dauchez et René Ménard. Ce collectif, nommé ainsi pour ses tons sombres et terreux, rejette la légèreté impressionniste au profit d’un réalisme dramatique, puisant dans les traditions de Courbet, Ribot et des peintres hollandais. Les réunions de la Bande Noire, souvent tenues dans les cafés parisiens ou les ateliers bretons, sont des moments d’échange où Prinet affine son approche des scènes intimistes. En 1899, il rejoint la Société Nouvelle de Peintres et Sculpteurs, une association prestigieuse exposant chez Georges Petit, galeriste des cercles mondains. Ces affiliations lui permettent de côtoyer des collectionneurs influents et d’exposer à l’international, notamment à Bruxelles (1907), Pittsburgh (Carnegie Institute, 1909) et Munich (1912).
Ses œuvres majeures, peintes entre 1890 et 1910, révèlent une maîtrise exceptionnelle de la narration visuelle. La Sonate à Kreutzer (1901), inspirée du roman de Tolstoï, dépeint un duo de musiciens – une femme au piano et un homme au violon – dans un salon bourgeois. La composition, centrée sur un triangle lumineux, traduit la tension émotionnelle du texte : les regards détournés, les mains crispées et les ombres profondes suggèrent un drame intime. La toile, acquise par le Prince Régent de Bavière, est aujourd’hui au Musée d’Orsay. Le Bal (1900), conservé au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, capture une soirée mondaine avec des couples dansant sous des lustres. La fluidité des robes, rendue par des coups de pinceau dynamiques, et la lumière tamisée, qui sculpte les visages, rappellent les scènes de James Tissot, mais avec une gravité propre à Prinet. La Plage de Cabourg (1896), au Musée des Beaux-Arts de Caen, immortalise une scène balnéaire normande : des parasols colorés, des silhouettes élégantes et une mer scintillante composent une fresque sociale, où la touche vibrante trahit une influence impressionniste, bien que structurée par un cadre réaliste.
En 1894, Prinet épouse Jeanne Jaquemin, issue d’une famille bourgeoise dont les parents possèdent la villa Double Six à Cabourg, une station balnéaire prisée de la Belle Époque. Ce lieu devient son refuge estival, où il peint des scènes de plage, de promenades et de jardins. Ses toiles normandes, comme La Plage de Cabourg ou Les Baigneuses (1898), capturent l’effervescence mondaine décrite par Marcel Proust dans À la recherche du temps perdu. Bien que certains critiques, comme André Warnod, évoquent une rencontre entre Prinet et Proust à Cabourg, aucune preuve documentaire ne l’atteste. Les œuvres de Prinet, avec leurs silhouettes graciles et leurs jeux de lumière marine, partagent néanmoins une parenté esthétique avec l’univers proustien. Sans enfants, Prinet et Jeanne mènent une vie réservée, partagée entre leur appartement parisien et la villa normande, où il trouve une inspiration constante.
En tant que décorateur, Prinet contribue à plusieurs projets prestigieux. Il peint Le Petit Quadrille pour la Bibliothèque de l’Opéra-Comique, une œuvre délicate où des figures dansantes évoquent la légèreté du XVIIIe siècle. Il décore également le Musée national d’art moderne et des salles du Palais de la Légion d’Honneur, où ses panneaux allégoriques marient rigueur académique et sensibilité moderne. En 1904, il co-fonde les ateliers de l’Académie de la Grande Chaumière avec Lucien Simon et Antoine Bourdelle, un espace d’expérimentation artistique qui attire des élèves du monde entier. En 1928, il devient membre fondateur du Salon des Tuileries, consolidant son rôle dans les cercles avant-gardistes.
À l’École des Beaux-Arts, Prinet se distingue comme pédagogue. Dès 1905, il dirige le premier atelier réservé aux femmes artistes, une initiative audacieuse dans un milieu dominé par les hommes. Parmi ses élèves, Bessie Davidson et Mary Paillet se démarquent, adoptant son style réaliste tout en développant leur propre voix. Pendant la Première Guerre mondiale, trop âgé pour être mobilisé (53 ans en 1914), Prinet participe à des missions d’observation pour le Ministère de la Guerre, visitant les fronts des Vosges et de Noyon en 1917. Ces expériences inspirent L’Absoute (1919), une toile poignante où un prêtre bénit des soldats sous un ciel plombé, exposée au Salon de 1919. Cette œuvre, moins connue, révèle son engagement patriotique et sa capacité à traiter des sujets graves.
Illustrateur talentueux, Prinet collabore avec des éditeurs prestigieux. Il illustre Roman d’un Spahi de Pierre Loti (1919), dont les gravures exotiques capturent l’atmosphère saharienne, et Jeannot et Colin de Voltaire (1917), où ses dessins délicats soulignent l’ironie du texte. Il travaille également sur La Jeune Fille bien élevée de René Boylesve (1909), ainsi que des éditions de Balzac (Le Lys dans la vallée) et Maupassant (Bel-Ami). Ses gravures, caractérisées par des lignes fines et un rendu texturé, témoignent de sa polyvalence. En 1932, il participe aux compétitions artistiques des Jeux olympiques de Los Angeles, une initiative méconnue où les artistes rivalisent dans des disciplines comme la peinture et la gravure. Sa soumission, une scène de genre, ne remporte pas de médaille, mais illustre son ouverture aux expériences novatrices.
Érudit, Prinet publie deux ouvrages théoriques : Initiation à la peinture (1935) et Initiation au dessin (1940). Ces textes, destinés aux jeunes artistes, exposent sa philosophie de l’art : une composition rigoureuse, une observation minutieuse de la lumière, et une émotion contenue. Il entreprend également une étude sur les écrits des peintres, restée inachevée à sa mort, où il analyse les correspondances de Delacroix, Ingres et Courbet. En 1943, à 82 ans, il est élu à l’Académie des Beaux-Arts, succédant à Jules-Alexis Muenier, un honneur tardif mais mérité. La Légion d’Honneur, qu’il reçoit comme officier en 1926, consacre son statut de figure éminente de l’art français.
Vers 1940, Prinet se retire à Bourbonne-les-Bains, une petite ville thermale de Haute-Marne où il possède une résidence. Ce retour en Franche-Comté, loin de l’agitation parisienne, reflète son attachement à ses racines. Il y peint ses dernières toiles, des paysages intimistes aux tons doux, où la lumière déclinante évoque une méditation sur le temps. Il meurt le 26 janvier 1946, à 85 ans, et est inhumé auprès de Jeanne dans le cimetière local. Sans descendants, son legs artistique repose sur ses œuvres, dispersées dans les musées et les collections privées.
L’héritage de Prinet est multiple. Ses toiles, conservées au Musée d’Orsay (La Sonate à Kreutzer), au Musée des Beaux-Arts de Caen (La Plage de Cabourg), à Bordeaux (Le Bal), à Bruxelles (La Confidence), et dans des institutions moins connues comme le Musée de Belfort, incarnent un pont entre l’académisme et la modernité. Son style, qui marie la rigueur réaliste à des touches impressionnistes, influence les peintres de genre du XXe siècle, comme Édouard Vuillard ou Pierre Bonnard, bien que Prinet reste moins célébré. Les critiques de l’époque, comme Germain Bazin, louent sa capacité à « saisir l’âme d’une société » à travers des scènes apparemment banales. À Cabourg, son œuvre est indissociable de l’imaginaire balnéaire, et des expositions locales, comme celle de 1961 pour son centenaire, ont ravivé son aura.
Prinet est le peintre d’un temps retrouvé, pour reprendre l’expression proustienne. Ses toiles, qu’il s’agisse des intérieurs bourgeois, des plages normandes ou des fresques décoratives, traduisent une époque de contrastes : la frivolité de la Belle Époque, les tensions de la guerre, et la quête d’une vérité humaine. Sa carrière, qui s’étend sur six décennies, reflète une constance rare, alliée à une curiosité intellectuelle qui le pousse à explorer la peinture, l’illustration, l’enseignement et la théorie. Aujourd’hui, Prinet demeure une figure discrète mais essentielle de l’art français, dont les œuvres invitent à redécouvrir la richesse d’une période charnière.